Requiescat In Pace. [ABANDON]

Il était assez tard aujourd'hui, et aujourd'hui comme tout les jours, Kelik était debout, à l'extérieur sous le soleil de plomb, face à la fournaise installée dans son jardin. Comme tout les jours, il faisait s'abattre le lourd marteau qu'il possédait sur un malheureux morceau de fer qui n'avait rien demandé, et comme tout les jours il était torse nu, et très en sueur et sale. Comme tout les jours, il irait bientôt refroidir sa lame dans le tonneau à sa droite, et comme tout les jours il irait planter la lame dans le jardin, pour l'envoyer rejoindre le millier de lames déjà plantées partout dans le jardin, à l'exception d'un petit chemin herbeux menant à un arbre sous lequel se trouvait un tertre de fortune.

Oui, c'était un jour ordinaire. Enfin presque. C'est aujourd'hui qu'il devait venir, le prêtre. Le vieil homme ne savait même pas pourquoi il l'avait appelé. Enfin à vrai dire, il voulait que, dans le cas où ces histoires de vie après la mort soient vraies, elle repose en paix. Il avait donc demandé un sacrement pour un mort, faisant fi des remarques cinglantes fusant autour de lui sur la place du marché. Il baissa les yeux sur la broche posée à côté de lui. Elle lui manquait terriblement. Et elle lui manquerait probablement à jamais, il le savait. Il n'avait qu'une hâte, c'était de la rejoindre dans "l'autre vie" si tant est qu'elle existait. Il reprit la broche dans sa main, et serra le poing autour. Il ne pleurait pas, depuis bien longtemps la fournaise avait asséché ses larmes. Son coeur continuait de pleurer, mais ses yeux restaient secs à tout. Rien ne l'émouvait, du moins en apparence.

Il fut tiré de sa rêverie par les aboiements de son chien, un berger allemand qu'il avait appelé Zack. Le chien était affamé et blessé quand il l'avait trouvé dans la rue, et il s'en était occupé jusqu'à ce qu'il aille mieux. Il est, depuis ce jour, le seul et unique compagnon du vieux forgeron. Il l'appela une fois, par son nom, et le chien abandonna la cible de ses aboiements pour rejoindre son maitre, avant de s'asseoir à sa droite, comme il avait appris à le faire depuis les 8 mois où il vivait avec cet homme. L'animal reçu une caresse, et entendit l'expression d'un ordre: "Reste ici". Il obéit donc, regardant son maitre faire le tour de la maison, la lame toujours sur la fournaise, les gants brûlés et troués toujours sur les mains, et toujours aussi sale et suant. Kelik fit ainsi le tour de sa maison pour rejoindre le visiteur qui était venu le voir.

-Bonsoir, j'imagine que le prêtre c'est toi?

Il parlait plutôt crument, mais qu'attendre d'autre d'un forgeron vivant reclus depuis la mort de sa femme?

On m'avait sommé de purifier l'âme d'une morte sur sa tombe. C'était comme une cérémonie d'enterrement, sauf que la femme était déjà en terre. Il aurait pas pu tout simplement l'enterrer dans les règles de "l'art" ? En plus j'étais fatigué ce jour là... J'avais passé toute la nuit à rajuster ma toge pour le lendemain (maudits chiens qui ont uriné dessus). Et, alors que je suis censé m'occuper de la paperasse, c'est toujours moi qu'on envoie pour les cérémonies barbantes ! L'Ordre Religieux de la Colombe Morte et de l'Esprit de la Terre a des dizaines de religieux sous la main et c'est le moins qualifié qu'on choisit toujours... La dernière fois que je me suis mis en grève, déjà que j'étais seul avec une pancarte au milieu de la rue, on m'a balancé des livres sacrés à la figure. C'est toujours un souvenir très douloureux pour moi. Bref. Rien de joyeux. Qui me dit que j'allais pas tomber sur un taré ? Encore un taré ! Je croyais pas si bien dire...

"Bonsoir, j'imagine que le prêtre c'est toi?"

C'est ce qu'un type m'a lancé après avoir été accueillis par un chien sadique. J'ai rajusté ma mèche blonde comme je le fais environ 5667,5 fois par jour. J'ai bougé ma toge.

"Ça se voit pas, hein ? Oui, les jeunes existent aussi dans ce métier !"

J'ai répondu un peu plus violemment que je l'aurais voulu. Il faut dire que son ton n'avait pas été féerique non plus. J'ai essayé de rigoler silencieusement histoire de faire passer ma gourde plus finement.

"Bref, bonjour. - dis-je en serrant sa main - Je viens pour purifier la tombe d'une de vos proches, c'est ce qu'on m'a dit. Bon, j'vais vous dire, c'est pas une cérémonie très commune. Déjà, j'y connais rien alors je vais avoir besoin d'un p'tit bout de temps avant de me rappeler de la formule. J'suis plutôt intelligent donc ça ira. C'est où le bazar ?"

J'ai encore rajusté ma mèche en regardant un peu partout autour de moi. Il semblait que je sois dans une forge.

Bon, ce type ne lui plaisait pas des tonnes. Evidemment que ça se voyait, mais il faut bien lancer la conversation non? En tout cas, c'est ce que disait Lindsay, que la politesse implique qu'on lance la conversation, blablabla. Enfin, il dit que c'est pas une cérémonie habituelle, et il en profite pour se lancer des fleurs en disant qu'il est super intelligent tout ça. Faut bien le dire, Kelik s'en tape royalement qu'il soit intelligent ou qu'il soit le dernier des abrutis, pour peu qu'il soit capable de faire son boulot...

-C'est à l'arrière. Suivez moi.

Bon, encore une fois il n'avait pas fait de zèle, mais il est comme ça. Il avait pris les devants et marchait vers le jardin. Au fur et à mesures des pas, le prêtre pourrait voir les épées de plus en plus nombreuses jonchant le passage, obligeant parfois les deux hommes à faire un petit détour pour passer à côté d'une lame plantée dans le sol. Plus les deux hommes approchaient du fond du jardin, plus les épées semblaient précieuses et ornées de bijoux. Enfin, ils arrivèrent au jardin où l'on pouvait voir les centaines d'épées entourant le tertre de fortune, placé au pied d'un grand chêne. Kelik s'arrètera à cet instant, croisant les bras sur son torse.

-Voici la tombe. Je n'ai pas demandé de rituel avant, elle ne croyait pas en une quelconque divinité, cependant, si un dieu existe je souhaite que son âme puisse se reposer.

On fait mieux comme entrée en scène, après tout, dire que ni elle ni lui ne croyaient en Dieu, y a mieux comme moyen d'accueillir un prêtre... Sans même s'inquiéter de ce qu'il faisait, Kelik se retourna face à sa forge, et défit ses gants, avant de nettoyer ses mains dans le tonneau d'eau froide.

Je suivais le type. Personne n'aurait pu ignorer qu'il était forgeron; des dizaines et des centaines d'épées et de lames scintillaient dans une ambiance pourtant obscure. Il m'arrivait parfois de toucher une lame, dans l'angle mort du vieux, histoire de voir si elle était froide, chaude, dure, abîmée. C'était pas un passe-temps très éprouvant mais j'aimais bien voir toutes les sortes d'armes qu'il entreposait ici. Il y en avait tellement que l'on devait parfois contourner quelques tas de lames pour pouvoir passer. Au bout d'un petit moment, on arrivait à l'arrière du jardin pour tomber sur une sorte de tombe bizarre. Ce devait être là que la pauvre reposait. Avec ça, c'est sûr qu'elle pouvait pas rejoindre le moindre esprit...

"Voici la tombe. Je n'ai pas demandé de rituel avant, elle ne croyait pas en une quelconque divinité, cependant, si un dieu existe je souhaite que son âme puisse se reposer."

Pardon ? J'ai laissé ma mèche tomber sur mon front. Non mais quoi ? Ni lui ni l'autre ne croient en un quelconque avenir après la vie, et il fait venir un prêtre pour purifier une tombe ? "Cependant si un dieu existe", il dit vraiment n'importe quoi ! Il aurait pu remplacer sa phrase par "Oh, s'il y a un p'tit con qui vit sous terres, ce serait bien qu'elle le rejoigne, quoi.". Les gens athées sont rares, et encore plus ce qui me font venir pour une cérémonie ! J'ai finit par déplacer ma mèche et avant même que je ne puisse en placer une, il s'éloigna se laver les mains. Dans les deux sens du terme, il s'en lave les mains. D'un pas rapide, je l'ai rejoint.

"Déjà, le terme exact est "esprit" et non "dieu". Ensuite, si votre femme n'a jamais fait quoi que ce soit pour l'Esprit de la Terre, il ne l'acceptera jamais avec lui. Si vous n'y "croyez" pas non plus, déjà que c'est totalement irrationnel, je n'ai rien à faire ici. L'Esprit de la Terre n'est pas un hôtel auquel on se rend sans payer. Allez, j'm'en vais, moi, vous ne me manquerez pas."

L'autre, mais il se prend pour qui ? Je suis partit d'un pas toujours aussi lourd et hâté.

Notre homme séchait ses mains sur un vieux chiffon mité tandis qu'il regardait le prêtre lui parler. Il posa la serviette avant de se retourner, lorsque celui ci disait qu'il allait s'éloigner. Il l'attrapa par le poignet, sans pour autant exercer une trop forte pression.

-Ma femme n'a jamais été croyante, mais elle a toujours respecté vos préceptes. Elle a toujours été bien plus regardante sur ses actions que la plupart de vos prêtres, et qu'elle l'ait ou non fait pour votre Esprit de la Terre, s'il est si grand que vous le dites tous, il ne peut être cruel au point de laisser une bonne âme ainsi. Et je n'ai jamais dit que je ne paierais pas, là tu te méprends.

Il est vrai qu'à aucun moment de sa vie elle n'avait prié, pas plus qu'elle n'avait fait d'offrande ou quoi que ce soit. A vrai dire, elle s'était même moquée de ces gens tournant autour d'un oiseau mort une ou deux fois, elle avait dit que la foi, c'était pas de tourner autour d'une relique morbide. Kelik la voyait encore s'en moquer gentimment en rajustant ses cheveux chatains, avant d'aller aider un pauvre type dans la rue avec ses dons. Il secoua la tête pour chasser ces images douloureuses, avant de soupirer.

-Après tout si vous souhaitez partir, allez y. Ainsi au moins, après la mort nous serons ensembles, car je doute que votre Esprit accepte un jour un vieil homme plein de péché tel que moi. C'est pour elle que je vous ai appelé.

Il marqua un temps d'arrêt, puis relacha son poignet.

-Et s'il vous plait, évitez de toucher les lames en terre. Si vous voulez une arme, il y en a tout un tas à l'intérieur qui ne demande qu'à être emmenées. Celles en terre sont pour elle. J'ai lu un livre parlant de réincarnation un jour, il dit que tout les sacrements offerts aux morts leurs reviennent dans une vie future. En faisant cela, j'assure une garde solide à mon âme.

Puis plus rien. Il se détourna du prêtre, l'air un peu déçu de sa réaction malgré tout, puis il retourna à l'intérieur de sa demeure. Il en sortit une seconde plus tard avec une bourse, qu'il tendit au prêtre.

-Tiens, pour le déplacement, j'imagine que ça compense suffisamment.

Je me suis arrêté net. Son discours était à la fois complètement idiot, il parlait de réincarnation et de je ne sais quoi, mais en même temps... Il m'a convaincu. J'ai rajusté ma mèche, me suis retourné. J'ai poussé sa main, en regrettant quand même les billets qui s'éloignaient.

"Vous me payerez après la cérémonie."

Je suis retourné vers la tombe de la défunte et me suis accroupit. Je ne me souvenais plus vraiment de cette formule, qui était très peu utilisée. C'est vrai quoi, normalement on se contente de faire la cérémonie classique ! J'ai observé la tombe de fortune attentivement. Sa femme devait reposer abominablement et ne pouvait pas trouver l'Esprit de la Terre dans ces conditions.

"En ayant agit comme vous l'avez fait, vous n'avez pas respecté votre femme. Il est vrai qu'elle ne croyait pas en l'Esprit de la Terre, mais par simple respect vous auriez dû vouloir faire un enterrement religieux, pour qu'un chemin de repos éventuel ai pu s'ouvrir devant elle. Ne serait-ce que dans le doute de l'existence d'un esprit supérieur qui aurait pu l'accepter auprès de lui. Même sans y croire, on ne doit pas fermer les portes qui nous mèneraient à l'Esprit de la Terre."

Ces phrases m'ont échappées, mais cette pauvre femme... J'arrivais presque à ressentir son mal-être. Heureusement que j'étais là pour l'aider ! C'est alors que... Je ressentis une étrange sensation. Dans mon oreille, on me sifflait la formule ! Oui, je sais ce que vous allez dire, mais je ne suis pas illuminé ! J'ai sentit le vent m'aider... Et, comme instinctivement, j'ai récité la formule du repos éternel:

"Quaeso, accipimini a latere tuo semper defunctus qua omnes amaverunt. Absit omen. Quaeso ! Quaeso ! Quaeso !*"

C'est alors que le vent qui me soufflait à l'oreille s'est stoppé pour devenir plus fort ensuite et déposer une plume blanche sur la tombe de fortune. Cela était étrange car il n'y avait pas du tout de vent depuis le début de la journée... Pour moi, c'était vraiment un signe et j'avais vraiment réussit ma formule.

"Bien. Ma mémoire ne m'a pas fait faux bon, et cela ne m'étonne pas du tout. J'ai plutôt une bonne mémoire, on me le dit constamment."

Je me suis relevé, rajustant ma mèche une dernière fois puis je me suis retourné vers l'homme.

*du latin: "Je vous le demande, acceptez à vos côtés éternellement une défunte que tous aimaient. Que cela ne soit pas une malédiction. Je vous en prie ! Je vous en prie ! Je vous en prie !"