[encore désolé pour le retard, j'avais pas vu le sujet ! x_x]
Ma foi, c'était encore une journée d'une banalité épuisante pour Édouard Anew. Le matin il avait reçu dans son bureau le représentant de la Confédération Régionale des Horlogers Indépendants qui se plaignait d'un décalage entre l'horaire affiché par les horlogers employés par la région et l'horaire réel qui serait celui des horlogers privés. Le représentant s'était déplacé avec, au bras, une pétition signée par des centaines d'artisans et une lettre qui résumait les conclusions d'un scientifique soi-disant spécialisé en "temporelologie horaire". Encore une désignation fumeuse qui ne reposait sur rien pour faire perdre du temps au chef de la région... qui n'était, hélas, autre que notre Édouard. Son discours plaintif s'était clos ainsi :
« Nous réclamons la création d'un comité de réflexion sur l'heure officielle. Les horlogers indépendants, au nom de qui je parle, refusons d'afficher des horaires contradictoires avec celles des horlogers publics. De plus, nous vous demandons de reconnaître le préjudice qu'a causé l'erreur d'estimation du temps de vos services, ainsi que de nous indemniser en fonction. Nous ne pouvons plus vivre dans la honte. »
La secrétaire avait ricané en écrivant les derniers mots, ce qui n'avait que comprimé davantage l'air qui séparait le chef du représentant. Il était devenu irrespirable entre ces deux bouches qui s'apprêtaient à entrer dans un débat interminable. Car en effet, jusqu'à 14 heures, M. Anew dû convaincre le représentant qu'après tout, les clients n'avaient qu'à régler leurs horloges à l'heure qu'ils voulaient, officielle ou non, et que cela importait peu la région, surtout qu'au final c'était une seule minute qui faisait l'objet de la polémique. Le représentant était parti en scandant qu'il y aurait des suites à cette attitude impardonnable et que la confédération lancerait un appel général à la grève. Sans doute, se dit le chef, n'allait-elle pas durer une seule minute.
Après avoir travaillé sur des dossiers d'éclairage public, puis d'approvisionnement en farine des boulangeries de Cogitis, Anew décida qu'il était temps de respirer cette fois une bonne bouffée d'air frais avant d'exploser en mille morceaux. Il prit le premier train en direction de la Région Médiévale afin de se rendre dans une contrée du nord, non pour profiter de l'ambiance de taverne qui régnait dans les villages là-bas, mais plutôt se balader dans un petit bois bien frais. Le lendemain, il devait représenter sa région à la foire du pâté de sanglier, l'une des rares visites diplomatiques dans l'année avec ceux qu'il voyait un peu comme des brutes.
Alors qu'il avait commencé à profiter de la fraîcheur d'un coin d'ombre en périphérie du village de Fort d'Aube, près des petits buissons qu'il affectionnait tant dans cette région (bien plus que les gros taverniers buvant leur sueur en même tant que leur bière), il vit l'un de ces ours médiévaux.
« Holà, Ami ! Que faite vous en ces bois un si grand jour de fête ? »
« Ami », lui avait-il dit ? L'homme eut un sentiment de gêne lorsque ce mort parvint à son cerveau, lui qui n'avait guère l'attention de se lier d'amitié avec un médiéval. Mais c'est autre chose qui l'intrigua bien plus, le fait que l'individu ait fait référence à un grand jour de fête. Certes ces êtres moyenâgeux ne passaient guère leur temps autrement qu'en buvant, chantant et tombant dans les pommes, et ceci dans un cycle éternel qui définissait grosso modo la vision qu'avait Édouard de leur culture, mais tout de même il lui avait semblé qu'aujourd'hui était un jour particulier.
« Bien le bonjour, cher monsieur. Eh bien, je profitais un peu d'être ombragé. Il fait un soleil de plomb, n'est-ce pas ? Mais vous, vous rendez-vous donc à cette fête dont vous parliez ? Je ne suis pas d'ici, vous l'aurez compris... »
Édouard Anew espérait bien obtenir plus amples informations sur ce qui motivait ce jour de réjouissances. Il espérait aussi que ce n'était pas une autre de ces foires, une foire à la peau de vache, ou encore à la brebis galeuse...